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2 décembre 2011 5 02 /12 /décembre /2011 07:00

 

Gertrude Stein (01)

 

" Les Stein dirent à M.Vollard qu'ils voulaient voir des paysages de Cézanne, et qu'ils lui étaient adressés par M.Loesser de Florence. "Ah oui", dit Vollard, d'un air guilleret, et il se mit à circuler dans la pièce ; puis il disparut derrière une cloison qui se trouvait au fond de la boutique, et on l'entendit monter lourdement un escalier. Après assez longtemps il revint, tenant à la main une petite toile qui représentait une pomme, mais la majeure partie du tableau n'était pas peinte. Tous trois examinèrent le tableau avec grand soin. "Seulement, voyez-vous, dirent-ils, ce que nous voulions voir c'était un paysage. - Ah oui", soupira Vollard, et il prit un air encore plus guilleret. Au bout d'un instant il disparut à nouveau, et cette fois revint avec un tableau, qui représentait un dos ; c'était une toile magnifique sans aucun doute, mais le frère et la soeur n'en étaient pas encore à comprendre bien les nus de Cézanne et ils revinrent à la charge. Ils demandèrent à voir un paysage. Cette fois, après une pause encore plus longue, Vollard revint avec une très grande toile sur laquelle était peinte un très petit fragment de paysage. "Oui, c'était bien cela qu'ils voulaient, dirent-ils, un paysage, mais ils souhaitaient une toile plus petite qui fut entièrement couverte de peinture. "C'est quelque chose comme cela, dirent-ils, que nous désirerions voir." Pendant ce temps, la nuit, qui tombe tôt l'hiver à Paris, était venue, et, à ce moment, une vieille femme de charge descendit l'escalier du fond ; en s'en allant, elle murmura : "Bonsoir,  Monsieur, bonsoir, Madame", et elle sortit sans bruit ; puis, au bout d'un instant, une autre vieille femme de charge descendit le même escalier, susurra : "Bonsoir, Messieurs et Dames", et disparut silencieusement par la porte. Gertrude Stein éclata de rire et dit à son frère : "C'est une plaisanterie, il n'y a pas de Cézanne. Vollard monte là-haut, et il dit à ces vieilles femmes ce qu'il faut peindre, il ne nous comprend pas, et nous ne le comprenons pas, elles peignent vite quelque chose, et il nous l'apporte, et c'est un Cézanne." L'un et l'autre furent alors pris d'un insurmontable fou rire. Au bout de quelque temps ils se calmèrent et une fois de plus expliquèrent qu'ils voulaient voir un paysage de Cézanne.Ils expliquèrent que ce qu'ils voulaient voir c'était un de ces merveilleux paysages jaunes d'Aix tels que Loesser en possédait plusieurs. Une fois de plus Vollard sortit et cette fois il revint avec un merveilleux petit paysage vert. C'était ravissant, cela couvrait la toile entière, et cela ne coûtait pas très cher. Ils l'achetèrent tout de suite. Plus tard Vollard expliqua à tout le monde qu'il avait reçu la visite de deux Américains toqués, qui riaient tout le temps ; ça l'avait beaucoup agacé, mais à la fin il découvrit que plus ils riaient plus ils achetaient, alors il s'était mis à attendre qu'ils rient pour leur vendre quelque chose. "


Gertrude Stein - Autobiographie d'Alice Toklas

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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 07:00

 

Je mourrai pas gibier

 

J'ai eu une joyeuse conversation, pas plus tard qu'hier, avec mon conjoint, conversation qui tournait d'abord autour des films de fantômes, puis des films d'horreur, puis des films gore, trash... Bref, une conversation qui tournait mal ! C'est parce qu'il m'a parlé d'une particularité des scénarii de Massacre à la tronçonneuse et de Hostel (je vous avais prévenus que c'était une conversation dégueulasse), à savoir la conversion de la proie en prédateur, que j'ai pensé à ce très court roman de Guillaume Guéraud et que je me suis mise à lui en parler. Rien à voir avec le genre du gore, c'est juste un bouquin extrêmement sordide qui m'a traumatisée.

 

En 2007, ce livre a remporté le prix Sorcières - prix du livre jeunesse (oui, oui) attribué par les libraires et les bibliothécaires - dans la catégorie "roman ado". Je ne dirai pas que ce prix n'était pas mérité, au sens où il est excellent d'un point de vue littéraire. C'est juste que le faire concourir pour un prix destiné à la jeunesse, c'est un peu... malsain. Ainsi, et surtout, bien entendu, que de l'avoir publié dans une collection destinée aux adolescents (si vous voulez provoquer des suicides collectifs ou des shootings, y'a pas mieux à proposer). A cette époque, je travaillais à la section jeunesse de la bibliothèque municipale de Dijon et tout le monde en parlait... avec un air bizarre. Une de mes collègues m'a même dit : "J'adore les films d'horreur, les films gore, j'en regarde plein, j'adore ça, mais en lisant ça, j'étais traumatisée". Bref, je l'ai lu. Et il était bien à la hauteur de sa réputation sulfureuse.

 

Je choisis donc de vous raconter l'histoire, parce que si je ne le faisais pas, ça n'aurait aucun sens (rassurez-vous, lire le résumé est supportable ; enfin, plus ou moins). Le narrateur, Martial, est un adolescent coincé dans le village de Mortagne, où les gens (tous les gens) se divisent en deux clans : ceux de la scierie et ceux des vignes. Ils se détestent, mais ont tous un point commun (du moins les hommes) : la chasse. Et de répéter inlassablement : "Je suis né chasseur ! Je mourrai pas gibier ! ". Martial les déteste tous, y compris sa propre famille (il faut dire qu'il y a de quoi). Pour échapper à cette fatalité de la vie à Mortagne, il part en internat pour étudier la mécanique. Et se lie d'amitié, pendant les week-ends où il revient dans sa famille, avec la seule personne agréable et gentille du village, Terence, handicapé mental, considéré par tous comme l'idiot du village (quand on voit le niveau intellectuel des autres, on se demande pourquoi...). Et comme du gibier. C'est là, vous vous en doutez, que ça tourne au sordide. Pour sceller une pseudo-alliance entre "ceux de la scierie" et "ceux de la vigne", le frère et le beau-frère de Martial décident donc de se bourrer la gueule, puis d'aller se défouler sur Terence. Arrivée de Martial après les dégâts, qui soigne son ami, mais... ne réagit pas. Quelques temps plus tard, re-alliance et re-séance de défoulement sur Terence. Que Martial trouve à nouveau, dans un état... bref, dans un état qui le rend complètement fou, au sens propre. A un point qu'il en oublie toute compassion pour Terence, à un point que son unique but, son obsession soudaine, c'est la vengeance. Le roman se termine par un carnage (tout le monde y passe, et surtout la famille de Martial, à coups de hache, puis de fusil).

 

Voilà : c'est l'histoire d'un adolescent qui cherche à tout prix à échapper à un destin minable, mais qui est rattrappé par l'horreur, qui franchit la ligne et se retrouve à la fois dans le rôle de prédateur et de vengeur (on a un  sentiment presque jouissif à le voir tuer tout le village). C'est l'histoire de la cruauté des gens "ordinaires", de la barbarie au quotidien. C'est une analyse très juste des pires aspects de l'être humain. Et c'est sordide et déprimant parce que terriblement réaliste, très bien écrit, avec une grande économie de moyens. Pas de complaisance non plus : les scènes de torture ne sont pas décrites, mais avec le moment (très court, d'ailleurs) où Martial retrouve Terence qui s'est fait massacrer pour la seconde fois, on atteint le paroxysme du roman. On a envie de pleurer, de vomir...

 

A lire donc, parce qu'excellent, mais à ne pas mettre entre toutes les mains  (et prévoir un truc gai à faire juste après la lecture) !

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31 octobre 2011 1 31 /10 /octobre /2011 07:00

 

Cthulhu Rising by somniturne

 

Alors que j'étais encore adolescente et très impressionnable, un professeur de français m'a fait étudier un extrait d'un texte de Howard Phillips Lovecraft : un homme rêvait qu'il était dans un tramway - ou un bus - dont le conducteur se mettait à hurler à la mort tandis que le contrôleur se révélait être une créature munie d'un cône blanc assorti d'un tentacule rouge en guise de tête. Je ne sais plus de quel ouvrage de Lovecraft il s'agissait - aujourd'hui, je suppose que c'était Démons et merveilles, mais sans aucune certitude, car je ne l'ai pas lu. Ce que je sais, c'est que ce simple extrait m'avait terrorisée à l'époque et que je m'étais bien juré de ne plus jamais lire une seule ligne de Lovecraft de ma vie.

Jusqu'en 2008. Cette année-là (je précise que près de vingt ans avaient passé), je cherchais des images de N.C. Wyeth lorsque je suis tombée sur ça :

 

The-Giant-Cthulhu


C'était une illustration pour une nouvelle dont j'ai oublié le titre, non pas de Lovecraft, mais d'un de ses "suiveurs". Et, tout en se voulant un hommage évident au Géant de N.C. Wyeth, elle représentait un personnage nommé Cthulhu. Je devais apprendre assez rapidement par la suite que Cthulhu, le personnage le plus emblématique de l'oeuvre de Lovecraft, était une véritable star aux Etats-Unis et qu'on pensait même avoir découvert le lieu où il est censé sommeiller, la mystérieuse cité R'lyeh... Ma curiosité était à présent trop éveillée pour que je sois encore capable de tenir ma promesse : je suis allée emprunterà la bibliothèque le tome 1 de l'intégrale de Lovecraft parue dans la collection Bouquins et j'ai entamé L'appel de Cthulhu, la nouvelle sans doute la plus connue de Lovecraft (et, pour le coup, celle qui m'intéressait justement). Je ne vous imposerai pas un résumé qui n'aurait guère d'intérêt ; l'illustration qui figure en début d'article (et qui reflète par ailleurs très bien l'ambiance dans laquelle nous plonge la nouvelle) suffira à vous convaincre, si vous ne l'avez pas encore lue, que Cthulhu est un personnage assez peu sympathique. Et je dois dire que je n'avais pas lu depuis longtemps un texte aussi captivant.

Evidemment, j'ai eu envie d'en lire plus et, Cthulhu participant à un mythe plus large (couramment appelé "mythe de Cthulhu") qui relate l'histoire (parcellaire) des Grands Anciens (sorte de monstrueuses deités extra-terrestres), je me suis attaquée à d'autres nouvelles. Avec parcimonie, cependant. Car, si Lovecraft déborde d'une imagination un peu malsaine mais ô combien fascinante, s'il maîtrise le suspens au point qu'on est souvent happé par ses récits, reste tout de même un aspect très répétitif dans son oeuvre. Disons que le versant positif de son écriture, c'est son caractère obsessionnel et que le versant négatif, c'est la récurrence systématique, non seulement des mêmes thèmes, mais aussi - et surtout - du même procédé narratif. Barbey d'Aurevilly, en son temps, avait utilisé une  expression qui définissait parfaitement sa propre écriture, et qui convient tout aussi bien à Lovecraft : " l'enfer, vu par un soupirail ". C'est-à-dire que l'un comme l'autre décrit des évènements et des personnages atroces (les fameuses Diaboliques, entre autres, chez Barbey d'Aurevilly), mais que la vision qui nous en est donnée n'est que fragmentaire, et d'autant plus effrayante. Mais, quand chez Barbey d'Aurevilly ce type de narration relève d'une véritable recherche littéraire (j'ai pensé un moment écrire une thèse sur Barbey d'Aurevilly et Lovecraft, ça fait partie de mes nombreux projets de thèse passés aux oubliettes), je trouve que chez Lovecraft le procédé relève davantage de l'artifice facile (mais qui marche assez bien, je l'avoue). Combien de fois n'ai-je pas lu chez Lovecraft des phrases du type  : "Le langage humain ne peut pas décrire ce genre de chose" , "Il est impossible de décrire exactement l'aspect de cette créature", etc. ? De même, prenez n'importe quel bouquin de Lovecraft, vous êtes sûr d'y trouver - de nombreuses fois - les adjectifs "monstrueux", "cyclopééen", "dégénéré", etc. Il faut dire qu'il était bien barré ; Michel Houellebecq avait d'ailleurs reproduit, dans son ouvrage Lovecraft : contre le monde, contre la vie, une lettre où Lovecraft donnait une description étonnante de la population de New York, composée de créatures rampantes, visqueuses, chuintantes : on y retrouvait exactement les mêmes termes que dans ses nouvelles. Vous l'aurez compris, vivre à New York s'était révélée une expérience assez traumatisante pour notre écrivain... au point que la population new-yorkaise s'est transformée, dans son oeuvre, en monstres effrayants et habités par un but atroce : la destruction de la race humaine. Cela dit, je parierais qu'avant même de vivre à New York il était déjà un peu dérangé...

Bon, malgré les défauts que j'attribue à Lovecraft, je ne peux que vous inciter à lire ce classique qu'est L'appel de Cthulhu, ainsi que quelques autres - voire beaucoup d'autres - nouvelles. Je vous conseille également de ne pas faire l'impasse (mais seulement après avoir lu un certains nombre de textes relatifs au mythe de Cthulhu) sur Les montagnes hallucinées et Dans l'abîme du temps, qui nous éclairent sur l'histoire des Grands Anciens. Quant à mes préférés (outre L'appel de Cthulhu, bien sûr), ce sont La couleur tombée du ciel  et, surtout, Le cauchemar d'Innsmouth, qui comporte une longue course-poursuite terriblement angoissante. Et je terminerai par ces mots : 


"Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn"

 

cthulhu-euclide

 

HAPPY HALLOWEEN !

 

Voir aussi :

La photo du mois

Boulet - Impro-expo au Festiblog 2011 (Paris)

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